Douleurs de fibromyalgie : quelques
explications
Par : Pierre
Arsenault Ph.D., M.D
Le syndrome fibromyalgique se caractérise par l'existence de douleurs
diffuses depuis plus de trois mois avec au moins 11 points sur 18 points de
sensibilité propre aux fibromyalgiques. Une fatigue soutenue ainsi qu'un
sommeil non-réparateur s'ajoutent souvent à la présentation clinique de ces
patients.
Malgré ces critères, il n'est pas toujours simple de poser un diagnostic
de fibromyalgie. Des études présentées récemment au congrès de L'AMERICAN
PAIN SOCIETY démontrent qu'il existe à la fois des individus faussement considérés
fibromyalgiques (faux positifs) mais aussi d'autres qui ne sont pas identifiés
comme fibromyalgiques alors qu'ils le devraient (faux négatifs). L'absence de
marqueur biochimique ou radiologique n'est pas sans compliquer cette situation.
Il est toutefois de plus en plus probable qu'on ne devrait pas inclure tous les
fibromyalgiques dans une même catégorie. De fait, il existerait des
sous-groupes de fibromyalgiques. Cette hypothèse expliquerait pourquoi, dans de
nombreux essais cliniques, les succès thérapeutiques ne s'élèvent souvent
qu'à 50% des patients. Des recherches sont actuellement en cours pour regrouper
les patients aux caractéristiques communes.
Habitués à porter un diagnostic précis sur la base de données cliniques
fondées sur un questionnaire et un examen physique détaillés, les médecins
peuvent devenir hésitants à porter le diagnostic de fibromyalgie en absence de
confirmation par des examens para-cliniques spécifiques (laboratoires sanguins
notamment) Cette hésitation est compréhensible et le plus souvent salutaire
dans la mesure où elle ne cache pas une méconnaissance du syndrome. Toutefois,
au cours des dernières années, la profession médicale a été considérablement
informée sur ce syndrome si bien qu'aujourd'hui rares sont les médecins qui ne
connaissent pas bien ce syndrome. En parallèle, des chercheurs sont en quête
de marqueurs biologiques pour combler ce manque à gagner du côté
para-clinique.
La complexité de la présentation clinique chez certains patients est déroutante
pour le corps médical. Comment expliquer la multitude de symptômes somatiques
et viscéraux chez certains patients. Il est très tentant de conclure que de
tels patients souffrent de troubles de « somatisation ». La « somatisation »
étant définie comme un ensemble de plaintes physiques dont l'origine est
essentiellement psychologique (définition résumée). Malheureusement, devant
les nombreux symptômes des patients porteurs de fibromyalgie, plusieurs
intervenants qui ne sont pas au fait de la littérature scientifique, continue
à croire en ce diagnostic.
Il faudrait être très prudent avant d'avancer un diagnostic de
somatisation chez des patients avec poly symptomatologie. Les recherches
fondamentale et clinique qui ont actuellement cours sur la fibromyalgie amènent
d'importants éclaircissements sur les mécanismes physiopathologiques en jeux.
Nous répondrons brièvement, dans ce numéro, à deux questions :
Comment expliquer la persistance de douleur dans le temps chez un patient
fibromyalgique (au repos ou actif) ?
Les recherches sur les patients porteurs de diverses douleurs chroniques démontrent
qu'il existe des changements biochimiques au niveau de la région de la corne
dorsale de la moelle épinière (voir figure 1) (Réf. 1).
Les conditions favorisant ces changements biochimiques ne sont pas encore
connues, mais il est certain que des stress ou des traumatismes répétés
facilitent ce phénomène. Une fois ces changements « installés », la moelle
épinière elle-même se met à transmettre des informations de douleur au
niveau des centres supérieurs (au cerveau) et ce, sans que des blessures ou des
traumatismes nouveaux ne surviennent en périphérie (au muscle, à la peau,
etc.). Chez les fibromyalgiques ce phénomène est maintenant démontré (Réf.
2).
Dans des conditions normales, des mécanismes fournis par dame « nature »,
interviennent pour calmer la douleur que transmet la corne dorsale de la moelle
épinière. On appelle ces mécanismes de modulation, les contrôles inhibiteurs
diffus (ou cidns). Ces mécanismes prennent naissance au niveau de certaines régions
du tronc cérébral (voir figure 1) (Réf. 1) et viennent
agir exactement là où la moelle épinière est devenue « excitée ». Or, nos
recherches à l'UQAT montrent que ces mécanismes sont dysfonctionnels chez les
fibromyalgiques (ils ne fonctionnent pas ou peu) (Réf. 3).
Donc, les fibromyalgiques ont toutes les raisons au monde d'éprouver des
douleurs diffuses. Ils ont d'une part, une atteinte de la moelle épinière, et
d'autre part, une incapacité à compenser (voire calmer) la douleur qui émane
de la moelle épinière. Ils deviennent donc plus sensibles aux nouvelles
stimulations nociceptives (blessures douloureuses) et, dans certains cas, même
à des stimulations qui ne devraient pas être nociceptives (simple contact
physique par exemple). Ce phénomène est connu sous le terme d'allodynie. Pour
utiliser une métaphore, c'est comme ajouter un peu « d'huile sur le feu ».
Comment expliquer la coexistance de symptômes musculo-squelettiques et de
douleurs viscérales (thoraciques, abdominales et/ou pelviennes)?
Depuis quelques années déjà, des chercheurs ont démontré que les afférences
douloureuses provenant des tissus mous, des muscles et des organes internes
(viscères) convergent au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière
(voir figure 2) (Réf. 4). Ce phénomène est appelé de
la « convergence viscéro-somatique ». Il n'est donc pas étonnant que les
patients fibromyalgiques éprouvent à la fois des douleurs
musculo-squellitiques et au thorax, à l'abdomen et/ou même dans la région
pelvienne. Ce mécanisme peut expliquer les douleurs intestinales, les douleurs
gynécologiques, les douleurs urinaires par exemples.
Si on comprend bien ce mécanisme, on comprend aussi que toute atteinte
nouvelle, qu'elle intéresse l'une ou l'autre des voies afférentes (voie
somatique ou voie viscérale), ne fait qu'amplifier la douleur ressentie aux
muscles ou encore « à l'intérieur » du corps. Par atteinte nouvelle on
entend tout traumatisme, infection, phénomène inflammatoire, par exemple.
La cible actuelle de la recherche médicale est donc la corne dorsale de la
moelle épinière et les centres supérieurs (tronc cérébral et cerveau). La
rationnelle est la suivante : si on peut modifier ou normaliser les mécanismes
au niveau de la moelle épinière et stimuler les mécanismes qui modulent la
douleur (les cidns), il sera possible de contrôler les douleurs musculaires
mais aussi les douleurs viscérales. Plusieurs groupes de chercheurs s'affairent
actuellement à découvrir les mécanismes moléculaires de cette
sensibilisation spinale mais également à identifier de nouvelles molécules
pour renverser le processus de sensibilisation. Une fois ces recherches réalisées,
de nouveaux essais cliniques auront lieu et devront tenir compte des différents
sous-groupes de patients.
Références :
- 1. Marchand S, Le phénomène de la douleur, Chenelière/McGraw-Hill,
1998.
- 2. Kosek E, Ekholm J, Hansson P, Increased Pressure Pain Sensibility in
Fibromyalgia Patients is Located Deep to the Skin But Not Restricted to
Muscle Pain, 1995, 63(3):335:339.
- 3. Julien N., Arsenault P, Marchand S, Deficits of Endogenous Pain
Inhibitory Mechanisms in Fibromyalgia Soumis a Pain.
- 4. Staud R, Vierck CJ., Cannon RL, Mauderli AP, Price DD, Abnormal
Sensitization and Temporal Summation of Second Pain (Wind-Up) in Patients
with Fybromyalgia Syndrome, Pain 2001, 91(1-2):165-75.
- 5. Fields HL. Pain. New-York. McGraw-Hill Book Company, 1987
Comment les malades décrivent leurs souffrances.
Les plus fréquents motifs de consultation sont des douleurs et un épuisement
au moindre effort. En fait, le médecin s'aperçoit très vite que ces patients
sont atteints d'une foule de symptômes apparemment sans lien.
Ils ont mal partout, à la tête, au dos, aux membres. Ils n'arrivent plus à
faire des gestes qu'ils avaient l'habitude de faire ; pour certains c'est la
marche qui est devenue pénible, pour d'autres monter un escalier devient une véritable
expédition. La ménagère dira qu'elle ne peut plus porter ses sacs, soulever
une chaise ou lever les bras. Le sportif dira qu'il a été obligé d'arrêter
ses activités ou qu'il ne peut les continuer qu'à la seule condition d'être
sous antalgiques. D'autres diront qu'ils sont obligés de faire une heure de
stretching par jour, tant ils sentent que leurs muscles sont tendus, spasmés.
Le pianiste dira qu'il est épuisé au bout d'une heure de piano, alors qu'il
avait pour habitude de jouer 6 heures par jour. Ils dorment mal, ne récupèrent
pas pendant le sommeil, se sentent fatigués dés le réveil.
Très souvent ces premiers signes masquent un cortège impressionnant de
symptômes. Ils ont l'impression d'avoir toujours l'esprit dans le brouillard,
d'avoir de la peine pour se concentrer ou pour trouver le mot juste. Les
oreilles semblent bouchées, ils entendent moins bien, et sont envahis d'acouphènes,
voient moins bien, ont des vertiges avec l'impression d'être un peu ivre
lorsqu'ils marchent. La gorge pique, racle, les amygdales sont enflammées. Ils
avalent souvent de travers et font quelques apnées du sommeil, ce qui les amène
à dormir avec plusieurs coussins sous la tête.
A force d'entendre dire que leurs examens sont normaux, qu'ils sont juste
stressés, qu'ils en font trop et qu'il leur faut quelques anxiolytiques, ils
finissent par se demander s'ils ne sont pas en train de devenir fous ou s'ils ne
sont pas atteints d'une maladie tellement grave que personne n'ose leur avouer.
C'est ainsi qu'ils aggravent l'état anxio-dépressif (de plus en plus anxieux
et déprimés) caractéristique de leur affection. Trouble de l'idéation,
humeur changeante, idées suicidaires, crises de spasmophilie et douleurs
thoraciques précordiales, nous incitent à tort à penser que leur maladie est
dans la tête.
Cette idée est confortée par la normalité de tous les examens qu'on peut
leur faire subir. Rien n'est visible à la radio ou au scanner, rien ne se détecte
aux examens de laboratoire actuels. Médicalement, rien ne valide officiellement
les doléances de ces patients, dont les dires sont contradictoires et
changeants, leurs fameuses douleurs sont migratrices : cervicales le lundi,
lombaires le vendredi, brachiales le dimanche.
Continuant à souffrir, les fibromyalgiques retournent souvent chez leur médecin,
puis font le tour des spécialistes dans l'espoir d'être enfin soulagé. Rien
n'est stable dans leur plainte. En janvier, ils consultent l'ORL pour une
oreille bouchée, en février ils consultent pour un syndrome de canal carpien.
En mars ils consultent le dentiste pour des douleurs dentaires ou articulaires
inexpliquées. En avril, ils se retrouvent allergiques à tout, au moindre
allergène, au moindre stimulus. En juin, ils demandent des tranquillisants à
leur médecin. En septembre ils ont besoin d'un arrêt de travail. En octobre,
ils prennent rendez-vous chez l'ophtalmologiste pour une paupière qui saute ou
pour une violente douleur rétro-orbitaire ou pour une baisse subite de la vue.
Les traitements ostéopathiques sont tous efficaces mais les résultats ne
durent pas. Le corps se tord à nouveau sur le bassin, le rachis (colonne
verticale) ou le crâne. Les récidives se font dans l'espace d'une semaine
minimum, à trois mois maximum.
Leur budget santé est impressionnant au point que le nombre croissant de
ces malades commence à déstabiliser l'équilibre financier des caisses
maladies. Ils sont souvent accusés de nomadisme médical, et leurs médecins,
pour peu qu'ils soient compréhensifs et attentifs à leur souffrance, sont
accusé d'être complaisants. S'il n'est déjà pas facile pour un médecin de
comprendre une affection invisible, cela l'est encore moins lorsqu'il faut faire
admettre à un gestionnaire de caisse maladie, ou devant un tribunal
l'existence, de quelque chose d'impalpable.
Gérer la fibromyalgie
Lorsque nous savons que nous sommes atteints de fibromyalgie, nous savons
bien qu'elle ne se soigne pas actuellement, mais qu'il est possible de soulager
les douleurs et certains autres symptômes.
Étant donné que tous les malades ne vivent pas leur fibromyalgie de la même
manière, au niveau des symptômes et soins, il faut se dire que certains
verront leur fibromyalgie s'améliorer, d'autres se stabiliser ou encore
s'aggraver. Il vaut mieux penser que l'on doit s'adapter aux douleurs de la
fibromyalgie, et aux autres symptômes, plutôt que de penser que tout va
disparaître avec un traitement; ce qui est peu probable.
Tout cela n'est pas spécialement fonction du traitement, mais aussi de la
vie que mène la personne atteinte de fibromyalgie.
Il faut éviter autant que possible tout ce qui provoque le stress, l'anxiété.
Ne faire que ce que l'on peut sur le moment, et laisser le reste pour plus tard
dans la mesure du possible.
Pour améliorer sa fibromyalgie, il faut surtout ne pas rester inactif,
bouger, sortir, rencontrer d'autres personnes, se trouver des occupations même
si nous n'avons pas beaucoup d'énergie.
Il faut s'organiser pour avoir l'esprit occupé, car lorsque nous ne pensons
pas aux symptômes provoqués par la fibromyalgie, nous ressentons beaucoup
moins nos douleurs et pensons moins à nos problèmes, que ce soit des problèmes
physiques ou psychologiques, entraînés par la fibromyalgie.
Lorsque nous sommes atteints de fibromyalgie, il faut aussi essayer
d'apprendre à gérer nos émotions, car elles accentuent nos symptômes, ou redéclenchent
des crises lorsque nous sommes dans des périodes plus calmes.
Il est difficile aussi d'avoir une maladie qui ne se voit pas, ce qui fait
que notre entourage ne se rend pas compte à quel point nous souffrons et sommes
épuisés, même avec un traitement.
Souvent aussi, l'entourage ne comprend pas pourquoi nous ne sommes pas en
mesure d'aller à telle sortie ou telle soirée, pourquoi nous avons du mal à
recevoir, faire vos tâches ménagères, professionnelles, etc. Tout cela parce
que malgré tout, nous n'avons pas si mauvaise mine que cela.
C'est la raison pour laquelle il faut essayer de prendre contact avec des
groupes de discussions, associations, aller dans des réunions, etc.
Celles-ci permettent aux personnes atteintes de fibromyalgie de se retrouver
et de parler de leurs symptômes, de comprendre comment elles doivent vivre
avec, ce qui les soulage, et partager des trucs pour nous faciliter la vie.
Les associations et groupes de discussions servent aussi à faire connaître
la fibromyalgie.
C'est pour cela qu'on commence à entendre parler de plus en plus de la
fibromyalgie, que notre entourage commence à savoir que la fibromyalgie existe,
et que peut-être bientôt nous arriverons mieux à la soulager, peut-être à
la soigner.
Écrit par Bernadette Dubois
Pour garder son équilibre
Apprenez à vous jauger. La plupart des victimes de fibromyalgie ont une
forte personnalité, ils veulent souvent aller jusqu'au bout des choses qu'ils
entreprennent, ce sont des perfectionnistes. Si vous correspondez à ce
portrait, alors la notion d'équilibre ne fait peut-être pas partie de votre
vocabulaire. Essayez plutôt de ralentir la quantité de tâches que vous
entreprenez, et devenez plus efficace dans ce que vous devez faire. Il est
normal de demander de l'aide. Les autres ne savent pas nécessairement ce dont
vous avez besoin à moins que vous ne leur disiez.
Suivre quelques conseils pour trouver l'équilibre :
- Donnez-vous des priorités dans vos tâches
quotidiennes.
- Prenez souvent des pauses avant que vous n'en ayez de
besoin.
- Écoutez votre corps, et quand vous sentez vos muscles
commencer à se contracter plus durement, alors prenez une pause.
- Alternez les tâches dures et faciles.
- Déléguez des responsabilités aux autres quand vous
vous sentez proche de vos limites.
- Quand vous êtes sollicités pour des activités avec
d'autres personnes, apprenez à dire « non ».
- Passez du temps solitaire pour la méditation ou la
relaxation.
- Soyez souple et ajustez vos prévisions en fonction de
vos besoins.
- Soyez fier des tâches que vous avez terminées.
Apprenez ces conseils (et d'autres) de gestion de douleur et quand votre
fibromyalgie est aiguë, renforcez les stratégies que vous avez apprises.