Par : Pierre
Arsenault Ph.D., M.D
Faculté de médecine
Université de Sherbrooke
Dans un précédent article nous avons présenté les liens
qui existent entre les douleurs musculo-squelettiques des fibromyalgiques et les
douleurs viscérales (intestinales, vésicales, etc.). Nous avons expliqué que
la corne dorsale de la moelle épinière est le siège d'anomalies spécifiques
dans la douleur chronique des fibromyalgiques. Du fait que les fibres nerveuses
sensitives de l'ensemble des structures du corps parviennent à ce niveau, il
n'est pas étonnant que les fibromyalgiques ressentent assez fréquemment des
douleurs non seulement au niveau de leur musculature mais également au niveau
de l'abdomen et\ou du thorax.
Le phénomène de convergence des neurones sensitifs des muscles, de la peau,
des os ainsi que celles provenant des différents viscères du corps explique ce
phénomène (voir numéro précédent de cette revue).
Très souvent des fibromyalgiques nous ont mentionnés éprouver des manifestations physiques inhabituelles : étourdissements (en particulier lors des changements de positions), douleurs aux extrémités des mains au contact du froid, palpitations inhabituelles, etc. En regardant de plus près les afférences nerveuses de la corde dorsale de la moelle épinière, nous arrivons à comprendre que ces symptômes résultent en partie également d'une sensibilisation de cette région de la moelle épinière. En effet, le système nerveux sympathique donne également des efférences vers les structures du corps à partir d'une région voisine de la corne dorsale, la région intermédiaire de la moelle épinière (voir schéma c qui accompagne cet article).
Le système nerveux sympathique fait partie d'une composante de notre système nerveux dit « autonome ». On le dit « autonome » car il n'est théoriquement pas possible d'exercer un contrôle volontaire sur ce système. Il est responsable et indispensable à de nombreuses activités physiologiques tant au repos, à l'effort que dans des situations particulières (anxiété, stress, douleur notamment). Il est indispensable à l'homme autant en situation de stress que de repos. C'est lui qui fait accélérer les battements cardiaques, qui provoquent la sudation, qui permet des ajustements de la tension artérielle, etc.
Le système nerveux sympathique est, comme de nombreux mécanismes du corps humain, en équilibre avec un autre système antagoniste, le système nerveux para-sympathique. Le corps humain est ainsi fait. Il fonctionne selon le principe d'une balance. C'est le phénomène « d'homéostasie » ou, dit simplement, de « l'équilibre intérieur ». Or, lors d'un stress et de douleurs notamment, le système sympathique augmente son activité, une pure réaction de défense. C'est d'ailleurs cette réaction qui permet aux humains de se surpasser dans des situations critiques avec menace à la vie (catastrophes naturelles, accidents, etc.).
Puisque le système nerveux sympathique est impliqué dans le contrôle de nombreuses fonctions (dont la fonction cardio-vasculaire) il joue nécessairement un rôle déterminant dans le contrôle de la tension artérielle et en particulier lors des ajustements de pression rendus nécessaires notamment lors du passage de la position assise ou couchée à debout. Lors de tels mouvements, en raison de l'effet de la gravité, l'organisme doit rapidement s'adapter pour éviter toute chute de pression artérielle. Or, il a été démontré que les fibromyalgiques ne compensent pas aussi rapidement cette chute de pression. Ceci explique pourquoi ils ressentent fréquemment des étourdissements lors qu'ils se lèvent rapidement d'une chaise ou du lit. Leur système sympathique « tarde » à compenser les baisses de tension artérielle.
Certaines anomalies des fonctions digestives, urinaires, cutanées (sudation notamment) pourraient également être en relation avec des atteintes du système nerveux sympathique. Le phénomène de Raynaud (extrémités des mains froides et décolorées au contact du froid) pourrait également être en relation avec une dysfonction du sympathique.
Ainsi, si le système sympathique est indispensable pour l'équilibre intérieur, il devient moins « sympathique » lorsqu'il devient dysfonctionnel. Il engendre des symptômes fonctionnels c'est-à-dire sans anomalie organique (sans lésion pour simplifier). La recherche médicale a conduit à d'excellentes interventions en face de problèmes organiques (médication, chirurgie, etc.) mais n'en est qu'à ses balbutiements pour ce qui touche les troubles dits « fonctionnels ». Il faut toutefois mentionner qu'il existe de plus en plus de travaux qui s'intéressent à cet aspect particulier et notamment dans le domaine de la douleur. Il y a donc un futur avec espoir pour les fibromyalgiques!
À ce jour, il existe peu de traitements pour compenser les anomalies du système nerveux sympathique retrouvées notamment chez les fibromyalgiques. Il est en effet impossible pour l'instant de bloquer ou moduler les effets du système sympathique uniquement au niveau de la moelle épinière. Pourtant, cette alternative semble à priori bien fondée. La rationnelle est la suivante : si la corne dorsale de la moelle épinière est hyperexcitable et peut déstabiliser la région intermédiaire de la moelle (dont le sympathique fait notamment partie), il faudrait diminuer l'excitation au niveau de la corne dorsale et le tour serait joué! Il y aurait aussi l'option de bloquer le sympathique par des « blocs » (par injection) des ganglions sympathiques situés près de la moelle épinière, une démarche qui n'a jamais été tentée chez les fibromyalgiques mais pour laquelle nous ne fondons pas beaucoup d'espoir puisque la douleur des fibromyalgiques n'est pas que « sympathique ». L'expérience montre par ailleurs que le problème est plus compliqué! Il semble qu'il faille adresser le problème également au niveau des centres supérieurs! Dit autrement, il faut également intervenir au niveau émotionnel puisque les émotions sont intimement liées à l'activité du système nerveux sympathique. C'est pour cette raison qu'il est important d'expliquer aux patients les mécanismes qui expliquent leurs douleurs. Il est déjà un peu rassurant de comprendre que les douleurs, bien que très incommodantes, ne sont pas dangereuses en soi. C'est aussi pour cette raison que nous référons souvent les patients pour un support psychologique. Non pas que nous croyions que la maladie est « dans la tête » comme nous l'entendons si souvent, mais parce que la gestion des émotions fait partie des méthodes pour contrôler la douleur. Si on arrive à diminuer le stress (chronique) qui accompagne l'expérience de la douleur, on arrive aussi à calmer le système nerveux sympathique et donc, on ajoute un élément au contrôle de la douleur. C'est aussi en partie pour cette raison que nous recommandons un programme adapté d'activités physiques (aérobie douce notamment) qui permet d'améliorer les fonctionnalités du système nerveux sympathiques et une meilleure gestion des émotions.
Prochain numéro : Le stress et la fibromyalgie
Figure : Afférences nerveuses au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière. La direction des flèches indique la direction de l'influx nerveux.
En A et B, nous voyons que les afférences des muscles et des viscères parviennent au même niveau de la moelle épinière; la corne dorsale. En C, nous remarquons que cette région communique par d'autres neurones avec la région intermédiaire de la moelle ou se situe les neurones « sympathiques » (Tiré de Bonija JJ. Textbook of pain. 2002)