VICTIME D'UN MAL MÉCONNU

Ghislaine Breton-Bailly

JE SUIS ATTEINTE DE FIBROMYALGIE

Si Ghislaine Breton-Bailly semble en parfaite santé, la réalité est tout autre. Elle est atteinte de fibromyalgie, un mal dont on ne sait que soulager les effets pernicieux.

Ghislaine Breton-Bailly souffre de fibromyalgie, une maladie à laquelle les médecins ont longtemps refusé de prêter attention, mais que l'Organisation mondiale de la santé vient officiellement de reconnaître. Elle nous décrit ce mal insidieux et ses conséquences.

Q. Ghislaine pouvez-vous nous expliquer ce qu'est la fibromyalgie ?

R. C'est une maladie de l'appareil musculo-squelettique qui occasionne des douleurs continuelles à plusieurs endroits du corps. Les personnes qui en sont atteintes ne jouissent jamais d'un sommeil réparateur. Elles ressentent une très grande fatigue et manquent d'énergie. Les contrecoups psychologiques de la douleur peuvent les rendre vulnérables sur le plan émotif. Pour ma part, les douleurs sont plus aigües pendant les changements de saison, et l'humidité me fait beaucoup souffrir. Ce problème de santé a complètement bouleversé mon existence. Je dois apprendre à vivre différemment et à respecter mes limites.

Q. Peut-on dire qu'il s'agit d'une nouvelle maladie ?

R. Non. On en connaît l'existence depuis le début du XIXe siècle, peut-être même depuis plus longtemps. Mais on a méprisé de problème de santé pendant plusieurs années en disant que c'était une "maladie de femmes". Je crois que les médecins d'aujourd'hui, pendant leur formation, ne font qu'effleurer le sujet. La fibromyalgie fait maintenant partie des maladies "officielles". Mais ce n'est qu'en 1992 que l'Organisation mondiale de la santé l'a reconnue.

Q. Comment vous sentiez-vous avant qu'on diagnostique cette maladie chez vous ? Quels étaient vos symptômes ?

R. J'étais continuellement souffrante. J'avais terriblement mal au bas du dos et aux hanches. Lorsque je portais trop longtemps un objet lourd, mes bras se mettaient à trembler et j'échappais ce que je tenais. Quand on a posé le diagnostic de fibromyalgie, on a enfin mis le doigt sur le problème. Chez d'autres, les douleurs ressemblent à des brûlures ou à des engourdissements. Certaines personnes, ne sentant plus leurs membres inférieurs, peuvent même tomber. Parfois, des douleurs articulatoires peuvent apparaître. La fibromyalgie s'accompagne aussi souvent de tendinites et de bursites. La douleur qu'on éprouve est comparable à celle d'une rage de dents : elle est lancinante et peut devenir insupportable. Mais il n'existe pas deux cas semblables.

Q. Un jour, vous avez décidé de consulter un médecin. Comment cela s'est-il passé ? A-t-il été capable de diagnostiquer la fibromyalgie ?

R. Comme mes douleurs au dos persistaient, je suis allée voir mon médecin de famille, qui m'a suggéré de consulter un physiatre de Montréal. Ce dernier a tout de suite compris que j'étais atteinte de fibromyalgie, et j'ai demandé à un rhumatologue de me confirmer ce diagnostic. Contrairement à plusieurs fibromyalgiques, je n'ai pas été obligée de consulter plusieurs spécialistes de la santé pour qu'on découvre la maladie dont je souffrais. De fait, la plupart doivent rencontrer un nombre important de médecins qui leur disent souvent que leur mal se situe "entre les deux oreilles" ou qu'il s'agit d'une dépression.

Q. Quel genre d'examen le patient doit-il subir pour que le médecin pose le diagnostic ?

R. On décèle cette maladie à la palpation. Nous avons tous 18 points sensibles sur le corps, 9 de chaque côté. On les appelle les points gâchettes. Lorsque le médecin exerce une pression à ces endroits stratégiques, le patient ressent une douleur plus ou moins vive selon son état de santé. On dit qu'il y a fibromyalgie quand 11 points sur 18 s'avèrent douloureux. Le médecin note les symptômes du patient et dresse son historique médical -- ses antécédents, ses autres problèmes de santé.

Q. Qu'est-ce qui cause cette maladie ?

R. On ne le sait pas vraiment. Il y a plusieurs hypothèses, mais on n'a pas encore pu déterminer la cause exacte de la maladie. Certains pensent qu'une faiblesse du système immunitaire en serait responsable, d'autres l'attribuent plutôt à un manque de sérotonine (l'hormone qui dispose au sommeil). D'autres encore croient qu'il y avait un déséquilibre entre les acides aminés (les molécules qui sont à la base de la formation des protéines) dans le sang. L'hypothèse d'un virus a aussi été avancée. Cependant, dans bien des cas, on a remarqué que l'apparition des symptômes se produisait à la suite d'un choc : un accident, une chute, un traumatisme, une autre maladie.

Q. Combien de personnes sont atteintes de fibromyalgie au Québec ?

R. On estime qu'environ 5% de la population en souffrirait. Au Québec, plus de 1 800 personnes atteintes sont membres de 16 associations régionales. Comme cette maladie touche neuf femmes pour un homme, on croit qu'elle serait liée au cycle menstruel. Mais, là non plus, il n'y a rien de certain.

Q. La fibromyalgie est-elle transmissible ?

R. Rien ne prouve que ce problème soit d'origine génétique. Cependant, il arrive que deux membres d'une même famille en souffrent.

Q. Les médecins ont-ils de la difficulté à diagnostiquer la fibromyalgie ?

R. Beaucoup d'omnipracticiens sont mal informés à ce sujet ou ne connaissent simplement pas la maladie. Comme il n'y a pas de symptômes visibles, la fibromyalgie est difficile à diagnostiquer.

Q. Cette maladie se soigne-t-elle ?

R. Pas vraiment. Ça devient un peu comme une maladie chronique. Apaiser la douleur est la principale difficulté. Les personnes aux prises avec cette maladie doivent apprendre à négocier avec la douleur, à ne pas se laisser dominer par elle. Elles doivent changer leurs habitudes. Plusieurs patients sont traités avec un antidépresseur, qui les aide à dormir, et un relaxant musculaire. Sans ces médicaments, ils ne seraient pas fonctionnels. Pas moins de la moitié des patients consultent un psychologue après le diagnostic, car ils se demandent si le mal dont ils souffrent est d'origine psychosomatique.

Q. La fibromyalgie empire-t-elle avec le temps ?

R. L'état de santé d'une personne peut rester stable, mais il peut aussi se détériorer. Je n'ai jamais rencontré deux fibromyalgiques qui ressentent exactement le même mal.

Q. Est-ce important pour les patients de rencontrer d'autres personnes atteintes de ce mal ?

R. C'est très important de briser l'isolement. En discutant, on en apprend un peu plus sur les problèmes reliés à la maladie et les solutions qu'on peut adopter. Dans plusieurs régions du Québec, des personnes très positives réconfortent les femmes et les hommes atteints de fibromyalgie.

Q. Cette maladie peut-elle entraîner des tensions familiales ?

R. Certainement. Par exemple, moi, comme femme, épouse et mère, je ne peux plus donner à mon entourage de la même façon que je le faisais auparavant, au contraire, je dois demander de l'aide. Ça, c'est la pire chose pour quelqu'un comme moi. Et puis, c'est difficile pour les proches de comprendre cette maladie puisqu'on n'a aucun symptôme apparent.

Q. Pouvez-vous comparer votre maladie à une autre ?

R. Non, ça ne se compare pas. Je suis certaine qu'on souffre autant qu'une personne atteinte d'arthrite rhumatoïde, bien qu'il n'y ait aucune déformation dans un cas de fibromyalgie. De plus, on ressent constamment de la fatigue.

Q. Vous êtes présidente de l'Association de fibromyalgie. Pourquoi avez-vous décidé de vous engager de cette façon ?

R. J'avais le goût d'aider des personnes atteintes de fibromyalgie. Je voulais les écouter et partager avec elles des trucs, des conseils. L'Association est là pour faire connaître la maladie, outiller et informer les associations régionales membres et aussi pour défendre les droits des fibromyalgiques. Les personnes souffrant de cette maladie sont très vulnérables. J'aimerais dire à toutes d'être très vigilantes quant aux différents traitements qui leur sont offerts. Un traitement peut être bon pour une personne mais néfaste pour une autre.

"On a méprisé ce problème longtemps en

disant qu'il s'agissait d'une "maladie de femmes"

par Christine Tremblay Corno
Dernière Heure 13 décembre 1997

 






Traduit par Louise Rochette Louise
Email: LouiseRochette@gmail.com